La fabrication des moules de pales |
Les composites aéronautiques : 40 ans déjà !...
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Dans le courant de l'année 1967, je commençais à "voler de mes propres ailes" mais je travaillais toujours avec et sous le contrôle de mon collègue-formateur de travail M. Gérard Genoux. Il vint me dire un jour :
« - Tiens, voilà, il y a un boulot qui pourrait t'intéresser : la programmation de la génération et de l'usinage d'un moule de pale en fibres synthétiques. Il y a de la génération de formes, Il y a des traitements de profils. Il y aura à coup sûr du graphique à développer. Est-ce que tu serais partant, je suis derrière toi ? »
Je venais tout juste de passer programmeur confirmé. Ce "boulot" !... Bien sûr qu'il m'intéressait et grandement !... J'étais tout à fait volontaire pour me jeter à l'eau. Je savais que, en cas de coup dur, je pouvais compter sur lui. Il avait de bien meilleures connaissances en mathématiques que moi. Il en parla avec mon chef de service qui, première réaction, émit une objection : je ne pouvais pas prendre le projet car je n'étais pas cadre !... Grande déception... Pourtant, pour l'époque, j'avais les connaissances mathématiques nécessaires. Mon collègue n'était pas cadre non plus. Il venait d'obtenir son DEST du CNAM et préparait sa thèse de Physique Quantique. Il ne pouvait pas non plus prendre ce projet. De toutes façons, il préférait de loin les projets qui l'occupaient alors.
Le chef de Département Recherche recherchait activement un ingénieur qui aurait bien voulu prendre le projet informatique. Il n'y avait pas d'ingénieur informaticien à cette époque. L'informatique scientifique n'en était qu'à ses début dans l'usine. Les candidats ne se bousculaient pas à son portillon. Et pour cause, le projet était complètement nouveau, le développement de pales en fibres synthétiques était à un stade de recherche, tout était à faire. En plus, cela débouchait sur de la commande numérique. Le projet était pluridisciplinaire.
Bien sûr, j'étais plus ou moins au courant que des études se faisaient dans ce domaine. Des relations assez étroites s'étaient alors établies avec la société allemande Bolkow à Ottobrunn près de Munich qui fabriquait des petits hélicoptères de 2-4 places, le BO 102 et le BO 105 avec ce type de pales depuis quelques années déjà. Elle devînt par la suite MBB (Messerschmidt-Bolkow-Blohm) puis Eurocopter-Allemagne du groupe EADS.
A
l'issue d'une réunion d'ingénieurs et de commerciaux des deux
sociétés, il en était sorti que Bolkow réaliserait
les pales en fibres synthétiques et que Sud-Aviation réaliserait
la conception et l'usinage du moule pour l'hélicoptère SA 340 Gazelle.
La société Bolkow façonnait ses moules manuellement puis
les usinait avec une machine à reproduire. Cette dernière était
une fraiseuse normale à deux têtes solidaires. Avec un programme
de commandes numériques approprié, elle pouvait :
soit usiner deux pièces identiques en même temps en plaçant un bloc-fraiseur sur chaque tête,
soit reproduire une pièce en plaçant un bloc-palpeur au dessus de la tête du modèle.
C'est ainsi que le projet par ordinateur tombait subitement dans l'escarcelle du département Recherche du Bureau d'Études.
En deux ou trois occasions, je réitérais à mon chef de service mon désir de prendre en charge ces moules de pales. Toujours même réponse, et moi de lui répondre que si je réussissais, on pourrait alors me faire passer cadre !.... C'était le début de l'année scolaire 1967-1968, je m'inscrivais au CNAM d'Aix en Provence pour continuer des études de Mathématiques Générales que j'avais interrompues et pour entreprendre des études de Mécanique et d'Électronique.
Il se passa ainsi quelques semaines et, par chance pour moi, toujours personne ne s'était porté volontaire. Mon chef de service m'interpella un lundi matin d'octobre, je crois, aussitôt mon arrivée et me demanda si j'étais toujours d'accord. La réponse ne se fît pas attendre et ce fut comme cela que je débutais une super aventure technique, remplie de satisfactions, de déceptions parfois mais dont je garderai un souvenir inoubliable.
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Le moule "Bolkow" pour l'hélicoptère SA 340 Gazelle |
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Les préparatifs pour la mise en chantier de la fabrication prirent quelques mois. L'étude de la pale démarrait à peine et les tractations avec Bolkow étaient fréquentes pour les ingénieurs du Département Recherche. Ma participation ainsi que celle de mon collègue M. G. Genoux se limitait à donner un avis uniquement sur l'aspect faisabilité des calculs sur ordinateur car, en théorie mécanique et aérodynamique des pales, je n'y connaissais rien. N'étant donc pas occupé à plein temps, mon chef de service m'avait mis, prioritairement, à la disposition des ingénieurs-théoriciens du Département Recherche pour le calcul des fréquences propres et du centre de torsion de pale toujours sous le contrôle de mon collègue-formateur M. G. Genoux.
Ce
moule aura été pour moi une bonne expérience qui prît
son régime de croisière aux alentours de février-mars 1968.
Sans participer directement à son élaboration, il m'a permis de
connaître les problèmes liés à la technologie tout
en programmant les calculs demandés par l'équipe de conception
et de réalisation. L'informatique scientifique était à
ses balbutiements à cette époque. L'ordinateur était plutôt
considérée comme une super calculatrice pour soulager le travail
d'étude. La méthode choisie par les ingénieurs de Département
Recherche dont le chef se nommait M. Bondon, en étroite collaboration
avec ceux du Département Fabrication Machines Outils dont le chef s'appelait
M. Héninger fut assez empirique. Le domaine d'investigation étant
tout nouveau, il s'explorait par petits pas. Pour ma part, en accomplissant
le travail demandé, j'observais avec beaucoup d'attention les manières
de procéder. C'était très enrichissant, surtout les contacts
avec les équipes de Recherche pour la théorie et de Fabrication
pour la pratique.
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Le projet |
Ce
moule fut fabriqué à peu près conformément aux prévisions.
Il put prendre, en temps et en heure, le chemin de l'usine allemande Bolkow
qui nous fit retour, le jeudi qui précédait le départ en
vacances de fin d'année, de trois pales en fibres pour démarrer,
dés le début 1969, les essais en fatigue et en aérodynamique
dans le Laboratoire Sol qui jouxtait notre salle informatique, une cloison nous
séparait.
Anecdote : |
Le jour de l'arrivée, en
décembre 1968, des trois conteneurs abritant les trois pales Bolkow,
je terminai, le jour même, un stage chez IBM à Paris. |
Le lendemain, tout le monde était là et l'ouverture des conteneurs avait toutes les allures d'une cérémonie. La découverte du résultat de notre travail à tous était remplie d'émotions. Nous caressions et recaressions ces pales comme des enfants devant leurs jouets. L'année 1969 fut l'année des essais et celle de la préparation d'un nouveau moule de pales le moule 'OSANAT".
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Le moule "OSANAT" |
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Dès
le début de l'année, grâce à cette première
expérience, je me mis à élaborer une application un peu
plus fonctionnelle et pratique que celle qui avait servi à générer
le moule Bolkow à partir d'une idée basique de génération
de surface par interpolation linéaire proposée par un collègue
du service, ingénieur des Arts et Métiers, M. Jean-François
Gringeot. Ma petite note personnelle fut d'adapter sa méthode à
des courbes affines suivant les trois axes. En effet, comme nous venions d'acquérir
un IBM 1800 en remplacement de l'IBM
1620 un peu étriqué, je voulais si possible, de mon côté,
que cette application puisse traiter d'autres types de formes comme celles des
cellules d'hélicoptère, des tuyères, des carénages.
Voici donc la page de
garde du document intitulé "Programme de
calcul des coordonnées du centre de fraise pour le fraisage de pièces
sur machines à commande numérique" que j'avais
édité en 1970 et qui a bien vieilli avec le temps, que je garde
comme une relique car la méthode de conception en ce temps n'avait rien
à voir avec toutes celles d'aujourd'hui surtout grâce à
l'utilisation des courbes de Béziers
et les fonctions Spline dans l'espace. A
relire le document, je me suis surpris un peu à sourire... mais cela n'avait pas
mal marché quand même !...
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Le projet |
En 1973, le programme permit de réaliser le dessin des lignes d'eau d'un voilier que j'imaginais tout simplement pour montrer son usage un peu plus général. Ce plan de forme fit le tour de différents services du Bureau d'Études et, surtout, servit à convaincre le service Recherche d'orienter la méthode de conception du plan de forme de la cellule du convertible en cours d'études à cette époque vers l'informatique. Ce fut cette initiative qui déclencha, quelques mois après, la création de la section CAO au centre informatique de Marignane, avec l'embauche d'un ingénieur SupAéro/centralien M. Alain Massabo. Ce dernier reprit la réalisation des moules de pâles de manière plus scientifique pour d'autres projets et commença à développer l'étude des générations de formes avec les toutes nouvelles courbes de Béziers, ingénieur chez Renault.
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J'aurais bien aimé
que ce soit moi sur la photo pour le souvenir de l'époque et notre 1800 était bleu !!!... |
En ce
que me concernait, je continuais, en tant qu'homme-système de l'IBM 1800,
le développement de la librairie graphique ''le
Noyau Graphique'' entamée sur l'IBM 1620 pour les quelques
premiers ingénieurs du Bureau d'Études qui commençaient
à s'intéresser à la programmation, en général
ceux qui programmaient déjà sur des calculettes programmables
comme celles produites par Texas Instruments.
M.
Massabo commença ses études de formes sur cette machine en mode
par lots sans interactivité. Il n'y avait pas d'écran à
cette époque, seulement un lecteur/perforateur de cartes, une machine
à écrire à boule, une imprimantes à chaîne,
une bande magnétique et un traceur de courbes IBM Plotter 1627.
Reprenant des modèles de formes à partir
de plans de forme de cellules d'hélicoptères réalisés
par des dessinateurs, il me demanda un jour ce qu'il était possible de
faire pour repérer et récupérer des points sur un dessin
à partir d'un programme. Il pensait à un digitaliseur vectoriel.
Hors de question d'en acheter un et je n'étais même pas sûr
qu'un tel appareil existait à l'époque.
Avec les moyens du bord, je m'étais risqué
à lui proposer d'essayer avec le Plotter 1627. La largeur d'une trentaine
de centimètres lui paraissait un peu faible, il était obligé
de découper les plan pour les enrouler sur le tambour. La méthode
et le programme étant d'une grande simplicité et peu onéreuse,
j'eus le feu vert. A la place du crayon, nous avions positionné un petit
cercle de carton avec deux fils collés perpendiculairement. Un programme
contrôlait la tête à partir de touches de la machine à
écrire donnant la direction et le pas a effectuer jusqu'à atteindre
par dichotomie le point voulu dont les coordonnées finales étaient
celles recherchées. Mais à l'usage, même si cela valait
la peine d'essayer, la méthode n'avait pas beaucoup servi.
Par
contre, il n'en fut pas de même par la suite après avoir obtenu
un oscilloscope Tektronix 611 à mémoire phosphorique qui devait
faire une quinzaine de centimètres de haut et une vingtaine de large,
en échange d'un programme d'acquisition de données en temps réel
avec l'entreprise pétrolière de La Mède, toute proche de
là. Cet appareil s'utilisa comme un écran en le connectant à
deux sorties analogiques (x,y) du 1800, la pleine échelle (0,32767) pour
(0-5 volts) permettait de balayer toute la surface de l'écran et
à une sortie numérique pour contrôler l'allumage et l'extinction
du spot.
Son intégration
dans le Noyau
Graphique ne posa aucun problème, c'était un traceur incrémental
tout comme l'IBM Plotter 1627. L'affichage était très rapide et
fut apprécié pour l'étude des formes de la CAO toute naissante.
Très rapidement, M. Massabo me demanda à nouveau une possibilité
interactive. Suivant le même principe dichotomique utilisé avec
le traceur 1627, nous nous mîmes à confectionner un boîtier
provenant d'un tiroir d'un vieux bureau en bois réformé dans lequel
nous avions fixé deux potentiomètres x
et y sur une source 5 volts pour attaquer
2 entrées analogiques du 1800 et un bouton poussoir v
de validation. Les valeurs x et y numérisées des deux potentiomètres
étaient converties en coordonnées graphiques du programme qui
les réaffichait toutes les secondes pendant 100 ou 200 millisecondes.
On pouvait ainsi faire migrer le spot clignotant de sa position actuelle vers
celle désirée puis la valider par le bouton poussoir pour que
le programme en mémorise les coordonnées.
Ce petit écran interactif de fortune servit
pendant six ou huit mois, jusqu'à l'arrivée des premiers écrans
Tektronix 4010, même surface d'écran que le 611 mais autrement
plus "design" et plus pratique avec un clavier alphanumérique
et connecté à l'ordinateur par une liaison série RS232.
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