AÉRODYNAMIQUE

TOUTE L'EXPLICATION
DU RETOUR A L'ENVOYEUR

     En fouillant dans mes vieilles brochures oubliées, je suis tombé, dans la revue "Science et Vie" de juin 1982 page 110,  sur un article qui décrit l'aérodynamique du boomerang. J'ai consulté quelques sites de clubs de boomerang. Si l'on trouve aisément les moyens d'en fabriquer et de les utiliser au mieux pour les compétitions, je n'ai, par contre, pas réussi à trouver une description scientifique de son fonctionnement. En voici donc une, réduite à la partie technique, même si elle aurait peut-être besoin d'être rajeunie et réactualisée !... Aérodynamiciens ! que faudrait-il corriger ?

Ce qui me paraît intéressant dans le boomerang, c'est la très grande simplicité d'apparence de ce "bout de bois" face à la très grande compléxité de son fonctionnement.
Il faut quand même un peu "s'accrocher" !....

Références :
 * M. Jacques Thomas auteur - 24, rue Tronchet - 69006 Lyon.
 * Boomerang Club de France - 33, rue Madame - 75006 Paris


Inventé par les primitifs ignorants des moindres lois de la physique, le "bâton-qui-vole" tient à la fois de l'hélice, du rotor d'hélicoptère, de l'avion en virage, du gyroscope et d'encore autre chose dont nous ne possédons aucun modèle. Il aura fallu beaucoup d'équations à nos aérodynamiciens pour comprendre l'ingénierie des "sauvages".

     Pour être digne de son appellation, un bon boomerang doit répondre à la définition suivante :

<< Objet bipale, rigide et plat, coudé ou angulaire, qui, lancé à la main d'une façon appropriée, vole en tournoyant sur lui-même, décrit une trajectoire courbe, et revient à proximité immédiate de son point de départ >>

     Tout ce qui n'est strictement pas conforme à cette description ne mérite pas le nom de "boomerang", qu'il s'agisse de killing-sticks (bâtons à tuer) au parcours sans retour, de rotors ou hélices multipales à effet boomerang.

     Si l'équilibre interne d'un boomerang est fort complexe et résulte des rapports intimes liant entre eux les différents éléments qui le composent, sa structure de base, en revanche, est relativement simple : deux pales dotées d'un certain profil, réunies l'une à l'autre par une extrémité, situées sensiblement dans le même plan, et dont les axes longitudinaux forment entre eux un angle plus ou moins fermé (1). C'est en vrillant leurs pales que les aborigènes australiens obtenaient le retour de leurs engins ; aujourd'hui, ces pales ont plutôt un profil d'aile d'avion (2).

      Un observateur non averti est souvent surpris de constater que le boomerang se lance dans un plan proche de la verticale et non à l'horizontale comme on jette un galet pour faire des ricochets. Quand il quitte la main du lanceur, il doit être incliné sur la droite, pour un boomerang de droitier, le plan qui le contient formant avec la verticale un angle voisin de 30° (photo de gauche), suffisant pour contrebalancer la pesanteur.
     Le bras du lanceur agit comme une catapulte. C'est la détente du bras qui communique au boomerang l'impulsion nécessaire à son vol (photos de droite). Il emmagasine à cet instant une énergie considérable qu'il va disperser tout au long de sa trajectoire. En fin de détente, d'un geste sec, la main du lanceur imprime au boomerang un mouvement de rotation sur lui-même, dont la vitesse peut être estimée à 10 tours/seconde. Plus cette vitesse sera élevée, plus le vol sera stable.

     On peut lancer un boomerang en le tenant par l'une ou l'autre pale. Il semble pourtant plus logique de le projeter en le tenant par la pale de suite. En revanche, il est indispensable que l'extrados, c'est à dire la face bombée du boomerang, soit tournée vers l'intérieur de la trajectoire pour que les pales fendent l'air par leur bord d'attaque.
     La trajectoire type d'un boomerang classique est à peu près circulaire. La trajectoire d'un boomerang de sport (voir photo en fin d'article) d'un poids de 120 grammes est d'environ 100 mètres avec une portée (diamètre de la courbe décrite) d'une trentaine de mètres. La durée du vol n'excède pas 8 à 10 secondes.
     Pour qu'un boomerang réalise sa trajectoire idéale, il lui faut communiquer une impulsion déterminée. Différente selon les modèles, la force nécessaire sera constante pour un appareil déterminé. Inutile donc de le lancer plus fort, il n'ira pas plus loin ; il parcourra sa trajectoire plus vite et la précision de son retour s'en ressentira.
     Le boomerang évolue dans la masse d'air qui l'entoure. La moindre brise ayant un effet sur le vol, dans le cas général pour droitiers, le lancer doit toujours s'effectuer sur la droite de la direction d'où souffle le vent et à 45° environ de celle-ci (3).
     Reste, évidemment, la grande question, celle que tout le monde se pose en découvrant le boomerang : << Comment vole-t-il et pourquoi revient-il ? >>. A cette question, maintes fois posée, on peut apporter une réponse simple : tenant à la fois de l'hélice, du rotor d'hélicoptère de l'avion en virage et du gyroscope, le boomerang emprunte à chacun de ces appareil ses caractéristiques fondamentales pour en faire un amalgame original et donner ce "bâton volant" au comportement singulier. En effet, les qualités d'un boomerang procèdent d'un équilibre si subtil dans la répartition des masses et des surfaces que la moindre variation de poids ou de dimension peut changer complètement le comportement de l'engin.
     Si, à la surface de la Lune, l'astronaute américain Alan Shepard avait lancé un boomerang, celui-ci ne serait jamais revenu : projeté à une vitesse initiale de 25 mètres/seconde et suivant un angle vertical de 45°, il serait monté à environ 100 mètres d'altitude, et sous l'action de la pesanteur, il serait retombé au bout d'un vingtaine de secondes à un peu moins de 400 mètres de distance ; mais jamais sa trajectoire n'aurait dévié ni vers la droite, ni vers la gauche. C'est donc grâce à l'air que le boomerang accomplit une trajectoire plus longue, vole plus longtemps et revient à son point d'origine.
     Une loi de l'aérodynamique nous apprend que, lorsqu'une masse d'air en mouvement rencontre une surface formant un angle avec la direction de ce mouvement, l'air exerce une force de poussée perpendiculaire à cette surface et dirigée vers l'arrière de celle-ci (4). Si, au lieu de l'air, c'est la surface qui est en mouvement, le phénomène est exactement le même car c'est le vent relatif VR qui importe, c'est à dire le déplacement de l'air par rapport à l'objet ou vice versa.
     Supposons que la surface soit une plaque mince, légèrement inclinée,et animée d'un mouvement rectiligne horizontal. L'expérience montre qu'elle est à la fois soulevée vers le haut, retenue vers l'arrière et qu'elle tend à se placer perpendiculairement à la direction du vent relatif. Une zone de surpression se crée sous la plaque, l'intrados, et une zone de dépression au-dessus, l'extrados (5). L'ensemble des forces de pressions ainsi exercées forme la résultante aérodynamique FR, sensiblement perpendiculaire à la plaque. Cette force FR se calcule par la formule : FR = k.V².S.sin ik dépend de divers facteurs comme la densité et la température de l'air, l'état de la surface de la plaque etc..., V est la vitesse du vent relatif, S la surface de la plaque et i l'angle d'incidence de la plaque par rapport au la direction du vent relatif. Cette résultante aérodynamique peut se décomposer en deux forces : la portance FZ perpendiculaire et la traînée FX parallèle à la direction du vent relatif  (6). La portance tend à soulever la plaque et la maintenir en l'air ; la traînée s'oppose au déplacement et tend à la freiner. Quand le déplacement est montant ou descendant, il y a toujours une composante verticale FZ' de FZ diriger vers le haut qui s'oppose à la pesanteur (7).
     Aux faibles incidences, la valeur de la traînée FX est peu élevée par rapport à celle de la portance FZ. Quand on fait varier l'angle d'incidence, on constate que la portance croît plus vite que la traînée jusqu'à 15° ; à partir de 20°, la portance diminue et la traînée augmente.
     Le centre de poussée est le point d'application de la résultante aérodynamique FR. Du fait de la dissymétrie de l'écoulement d'air autour de la plaque, il se situe en avant du centre de gravité de la plaque. Ce décalage est à l'origine d'un moment cabreur qui tend à faire basculer la plaque jusqu'à ce qu'elle soit perpendiculaire au vent relatif.
     Des expériences en soufflerie ont montré qu'une plaque incurvée sur le dessus avait un bien meilleur rapport FZ/FX : la différence entre les pressions qui règnent à l'extrados et à l'intrados augmente tandis que la résistance offerte diminue. D'essai en essai, on est arrivé au profil de l'aile d'avion (9) qui a la particularité de développer une portance même à incidence nulle. En raison de la loi de Bernouilli. Celle-ci énonce que, dans un flux d'air à écoulement régulier, la somme des pressions statiques et dynamiques est constante. La courbure de l'extrados oblige les molécules d'air qui glissent sur elle à effectuer, dans le même laps de temps, un parcours plus long que celui des molécules qui longent l'intrados. Leur vitesse, donc la pression dynamique, est donc plus grande. D'après la loi de Bernouilli, la pression à l'extrados est plus faible qu'à l'intrados, d'où un phénomène d'aspiration vers le haut.

     Les forces aérodynamiques créées par le déplacement du boomerang dans l'air vont agir sur lui dès le moment où il aura quitté la main du lanceur mais leurs effets seront modifiés par des réactions particulières dues à la rotation sur lui-même. Il sera donc influencé par un phénomène gyroscopique. Le gyroscope est certainement le plus étrange des appareils mécaniques simples. Il est constitué pour l'essentiel d'un plateau circulaire relativement lourd dont la masse principale se trouve disposée à la périphérie et qui tourne rapidement autour d'un axe perpendiculaire à son plan et passant par son centre de gravité (10). Le gyroscope a deux propriétés qui nous intéressent particulièrement : la fixité dans l'espace et la précession.
     La fixité dans l'espace est la propriété qui pousse le gyroscope à maintenir son axe de rotation parallèle à une direction donnée. Elle résulte de l'inertie qu'oppose sa masse en mouvement à toute force tendant à modifier son état d'équilibre du moment. C'est cette propriété qui, par exemple, permet au cycliste de rouler sans tenir son guidon, au cerceau d'avancer sans se coucher, à la toupie de tourner sans basculer et de donner au boomerang sa stabilité de vol. Il est impossible de faire voler correctement une carte postale rectangulaire en la projetant devant soi comme une aile de papier ; par contre, la lancer en lui donnant en même temps un mouvement de rotation sur elle-même, elle pourra parcourir une distance appréciable.
     La précession est une réaction particulière du gyroscope. Elle se manifeste quand on exerce sur lui une action d'une certaine intensité tendant à faire basculer son axe de rotation. Par exemple, on ressent une vive résistance quand on tient des deux mains, par son axe, une roue de bicyclette qui tourne assez rapidement et que l'on veut faire basculer son axe de rotation (11). Ainsi, la réaction de précession se produit toujours à 90° de l'action et en avant de celle-ci dans le sens de rotation. Cet effet de précession gyroscopique est d'une importance capitale dans l'explication du retour du boomerang.
     Du fait qu'elles tournent autour d'un axe de rotation situé virtuellement derrière le coude de l'appareil, les pales du boomerang balaient une surface circulaire en forme de couronne : la couronne balayée. Sa surface correspond à celle du cercle balayé par les extrémités des pales, diminué du cercle d'évidement qui ceinture le centre de gravité (12).
     En observant ce balayage rapide, continuel effectué par les pales, on peut assimiler le boomerang à un disque tournant sur lui-même. Les réactions d'un tel disque que l'on fabriquera facilement dans un morceau de carton, vont nous permettre de faire des observations intéressantes.
     Mais, d'abord, essayons de bien visualiser les axes de références de l'assiette du disque (13). En premier lieu, il y a l'axe de rotation, perpendiculaire au disque : ensuite, l'axe de roulis, qui se trouve toujours dans le plan constitué par l'axe de rotation et la projection orthogonale sur le plan du disque du vecteur vitesse du mouvement de translation (c'est-à-dire du mouvement d'avancement du disque) ; enfin, l'axe de tangage qui est perpendiculaire dans le plan du disque à l'axe de roulis.
     Imprimons au disque une certaine vitesse de rotation sur lui-même et lançons-le droit devant nous horizontalement suivant une légère pente ascendante. Nous observons que, très vite, sa trajectoire s'incurve latéralement en même temps qu'un mouvement de roulis fait basculer vers le bas son secteur avançant (le demi-cercle dont la rotation s'effectue dans le sens du déplacement) jusqu'à ce que le plan du disque se stabilise à la verticale. Corrélativement, après une légère ascension en début de parcours, le disque a progressivement et de plus plus rapidement perdu son altitude.
     Recommençons la même expérience, mais, cette fois, en inclinant le disque de sorte que son secteur avançant soit au-dessus de l'horizontale au moment du lancer. Nous constatons le même phénomène de roulis : le secteur avançant bascule vers le bas, dans le même sens que précédemment, jusqu'à ce que le disque adopte une position verticale. C'est dans la trajectoire que nous remarquons une différence (14). Celle-ci, en effet, au lieu de débuter de façon rectiligne, commence par s'incurver légèrement du côté de l'extrados (face supérieure du disque) ; ensuite, elle se redresse petit à petit à mesure que l'axe de tangage se rapproche de l'horizontale ; enfin, elle s'incurve de l'autre côté, de plus en plus vivement et, en proportion, le mouvement de bascule du secteur avançant s'accélère. Cette incurvation initiale est la base de la trajectoire du boomerang.

     A partir de ces deux expériences, faisons l'inventaire des principales forces en action dans le vol du boomerang et leur influence sur sa progression.
     Première expérience : quand le disque quitte la main du lanceur avec l'axe de roulis à l'horizontale, il est animé d'une vitesse originelle de déplacement V0 et tend par inertie à rester sur sa trajectoire de lancement. Mais, soumis aussitôt à l'action de la pesanteur gt (P=mg, produit de la masse du disque par l'accélération de la pesanteur), celle-ci va lui communiquer une certaine accélération verticale dirigée vers le bas, d'où il résultera une nouvelle vitesse V1 dont la direction forme avec le plan du disque un angle d'incidence i. Dès l'apparition de cette incidence i surgit la résultante aérodynamique FR dont le point d'application ou centre de poussée se situe sur l'axe de roulis, en avant du centre de gravité (15). Ce décentrement dans le sens du mouvement engendre un moment cabreur MC qui va croître avec l'incidence et la vitesse. Mais, par effet de précession gyroscopique, le moment cabreur MC se transforme en moment de roulis MR, lequel fait basculer le secteur avançant du disque jusqu'à la verticale, position où FR disparaît, l'incidence étant devenue égale à zéro. Cette transformation d'un moment cabreur en un moment de roulis est l'explication du fameux lying down (couché à l'horizontale) du boomerang.
     Deuxième expérience : si, en revanche, lors du lancement, la plan du disque se trouve incliné sur le côté par rapport à la direction du déplacement, la portance FZ se décompose en deux forces (16) : une force verticale Fz qui s'oppose à la pesanteur P et une force centripète Fcp, orientée latéralement, qui communique une accélération latérale au centre de gravité du disque et incurve la trajectoire de ce dernier. C'est la fameuse incurvation initiale du côté de l'extrados. Comment expliquer alors que cette trajectoire courbe, déclenchée par la force centripète, se poursuive un certain temps avant de se redresser et de basculer dans l'autre sens ?

     Si aucune modification d'assiette ne se produisait, le disque, attaqué à l'extrados par le vent relatif dès le début de sa dérive centripète, aurait tendance à se mettre en travers du dit vent. Il en résulterait, par effet de précession gyroscopique un brutal mouvement de bascule autour de l'axe de roulis, le secteur reculant s'enfonçant jusqu'à la verticale. Or, non seulement le secteur reculant ne s'enfonce pas mais il tend même à se soulever. C'est que l'assiette du disque évolue constamment autour de l'axe de tangage de telle façon qu'une certaine incidence est en permanence maintenue. Sous l'influence d'un mouvement cabreur, la point d'attaque est à la fois soulevé et déplacé du côté où s'exerce l'action de la force centripète. Ce déplacement latéral entraîne un pivotement de l'axe de roulis. Si nous considérons la projection de cet axe sur le plan horizontal passant par le centre de gravité du disque (17), nous voyons que cette projection est animée d'un mouvement de rotation autour du centre en question. La vitesse angulaire de ce mouvement de rotation est la cadence W : ajustée à l'intensité de la force centripète,elle accompagne le mouvement du disque sur sa trajectoire courbe. C'est la cadence qui fait que le disque n'attaque pas le vent relatif par l'extrados mais lui présente toujours l'intrados.

     Cela dit, n'oublions pas que le point d'attaque est également soulevé par le moment cabreur. Ce phénomène est important, car il entraîne une régularisation de l'incidence qui vient contrebalancer l'influence de la pesanteur. Le moment cabreur en question résulte d'une dissymétrie des poussées qui s'exercent sur les secteurs avançant et reculant du disque en déplacement dans l'espace. En principe, une telle dissymétrie devrait engendrer un moment de roulis, mais, par effet de précession gyroscopique, le moment de roulis se transforme en moment de cabrage.
     Plusieurs facteurs sont à l'origine de cette dissymétrie des poussées. En premier lieu, il y a le fait que le secteur avançant du disque vient à la rencontre des filets d'air alors que le secteur reculant se retire dant eux. par suiite de l'incidence générale du plan du disque en déplacement dans l'espace et de la différence des vitesses absolues des deux secteurs (18), il s'établit à l'intrados du secteur avançant une pression supérieure à celle qui règne à l'intrados du secteur reculant. L'explication est simple : dans le secteur avançant, le mouvement circulaire du disque sur lui-même contrecarre l'écoulement des molécules d'air ; dans le secteur reculant, il le favorise.
     Ensuite, le mouvement de bascule du disque autour de son axe de roulis (souvenons-nous en effet que le disque, incliné au départ, se couche progressivement tout au long de la courbe initiale) vient encore accentuer la dissymétrie des poussées. Le secteur avançant, par suite de son abaissement, voit sa vitesse descensionnelle se conjuguer à la vitesse de déplacement pour donner une résultante de valeur supérieure à cette dernière, en même temps qu'un angle d'attaque plus important. D'où un accroissement de poussée. A l'inverse, la vitesse verticale du secteur reculant -- qui, lui, s'élève -- entraîne une réduction de la vitesse de déplacement et une diminution de l'angle d'attaque. D'où un amoindrissement de poussée.

     En résumé, de nos deux expériences, il en ressort que :
  Un moment cabreur dû au décalage sur l'avant du centre de poussée, déclenche un mouvement de bascule du disque autour de son axe de roulis, le lying down ;
  L'inclinaison latérale du disque au moment de son lancement provoque une courbure au début de sa trajectoire ;
3°   La dissymétrie des poussées qui s'exerce sur les secteurs avançant et reculant du disque est à l'origine d'un mouvement de cabrage qui régularise la valeur de l'angle d'incidence et adapte la cadence à la courbure de la trajectoire, courbure déterminée par la valeur de la force centripète.

     Mais abandonnons maintenant les disques pour revenir au véritable boomerang en précisant toutefois qu'un rotor multipales aurait les mêmes réactions. Malgré les apparences, un boomerang peut être assimilé à un rotor, ses pales sont excentriques par rapport au centre de gravité mais, à chaque demi-tour, ces excentricités se trouvent en opposition symétriques et leurs effets se contrebalancent (19). Sans doute, le boomerang n'a-t-il que deux pales, mais son coude, en raison de sa masse et de sa surface, joue un rôle déterminant et peu être comparé à une troisième pale.

     Avant d'aller plus avant, une remarque s'impose : la propriété gyroscopique de fixité dans l'espace fusionne les unes dans les autres les forces élémentaires qui s'exercent en chaque point de la surface du boomerang et en fait un amalgame. C'est donc à la surface du cercle balayé qu'il convient d'appliquer les forces résultantes en actions et non pas à la surface en plan du boomerang.
     Quand seul le mouvement de rotation est pris en considération, même si le centre de poussée ne coïncide pas avec le centre de gravité, le fait que le premier tourne rapidement autour du second a pour conséquence que la résultante aérodynamique dont le centre de poussée est le point d'application tourne elle aussi rapidement et que son action se fait sentir au centre de gravité. Il en va tout autrement, bien entendu, quand un mouvement de translation vient s'ajouter au mouvement de rotation : dans ce cas, le centre de poussée du cercle balayé ne tourne plus autour du centre de gravité mains vient se situer plus ou moins en avant de celui-ci sur l'axe de roulis.

     Ceci précisé,comment obtient-on le retour "magique" du véritable boomerang ? Tout simplement en "domestiquant" la trajectoire suivie par le boomerang non profilé ou un disque de carton lancés avec une inclinaison du secteur avançant inférieure à 90°. Nous avons vu, en effet, qu'entre le moment où ces objets quittaient la main du lanceur, et celui où l'axe de tangage revenait à l'horizontale, leur trajectoire s'incurvait latéralement suivant une courbe de plus en plus ouverte au fur et à mesure que l'axe de tangage se rapprochait de l'horizontale. Pour qu'un objet revienne, il faut donc faire en sorte que cette courbe, au lieu de s'ouvrir petit à petit, se referme sur elle-même et qu'elle le fasse dans le temps que met l'axe de tangage à revenir à l'horizontale. En bref, il s'agit de régulariser le rayon de cette courbe.

     L'étude du vol d'un avion en virage (20) nous apprend que le rayon de sa trajectoire dépend de sa vitesse et de son inclinaison ? Il en va de même pour le boomerang : pour une inclinaison donnée du cercle balayé, le rayon de sa trajectoire est proportionnel au carré de sa vitesse et, pour une vitesse donnée ce rayon croît avec l'inclinaison. D'où la formule ci-contre à gauche du rayon R, I l'inclinaison par rapport à la verticale et V la vitesse de déplacement dans l'espace.
     Comme il ne saurait être question d'augmenter la vitesse du boomerang en cours de trajet, la seule solution est d'accroître au départ la valeur de cotg i, en réduisant le plus possible l'inclinaison par rapport à la verticale, en fait, en adoptant une valeur voisine de 30°. Cela a pour effet d'augmenter la force centripète mais aussi de diminuer la composante verticale de FZ. Aussi convient-il que la surface statique et l'envergure d'un boomerang soit adaptées à son poids.

     Supposons ces conditions réalisées. Ce qu'il faut maintenant, c'est provoquer une cadence W appropriée à la vitesse et au rayon de courbe décrite de façon à maintenir un angle d'attaque à la fois suffisamment grand pour assurer la portance voulue et suffisamment limité pour que l'axe de tangage ne bascule pas trop rapidement et ne dépasse pas l'horizontale (21).
     Cette cadence, nous l'avons vu, ne peut provenir que d'un moment cabreur, celui-ci résultant d'un moment de roulis transformé par précession gyroscopique. On obtient ce moment cabreur en créant, à l'avantage du secteur avançant et haut du cercle balayé et au détriment du secteur reculant et bas, un surcroît de déséquilibre des poussées, autrement dit, en augmentant la valeur du couple s'exerçant sur l'axe de tangage de part et d'autre du centre de gravité. Le moment de cabrage recherché doit correspondre à la cadence nécessaire pour parcourir, sous l'effet de la seule énergie emmagasinée au départ, une trajectoire de longueur déterminée, et pour que l'incidence du plan du cercle balayé engendre un moment de roulis tel que l'axe de tangage ne parvienne à l'horizontale qu'en fin de trajectoire.

     C'est en vrillant les pales de leurs boomerangs que les aborigènes d'Australie -- qui n'avaient certainement pas nos connaissances en aérodynamique mais possédaient un savoir-faire stupéfiant -- obtenaient l'indispensable déséquilibre des poussées. Ce procédé, toutefois, a l'inconvénient de provoquer une traînée importante qui ralentit le mouvement et diminue la longueur de la trajectoire. Aussi préfère-t-on aujourd'hui une autre solution : elle consiste à donner aux pales un profil d'aile d'avion plus ou moins épais et plus ou moins porteur selon l'effet recherché. Pour accroître la précision du retour, on renforce souvent l'incidence de la pale d'attaque en chanfreinant (c'est-à-dire en abattant l'arête) son extrémité : la longueur de la trajectoire s'en trouve réduite, mais le boomerang conserve jusqu'à la fin du vol une réserve d'énergie qui lui permet de mieux s'adapter à des conditions aérologiques variables et à des lanceurs différents.
     Au cours du vol, chacune des pales est animée d'une même vitesse angulaire w. L'ensemble des forces de poussée qui s'exercent sur chaque pale du fait de son mouvement dans l'air forme une résultante appliquée au centre de poussée de la pale. Si r est la distance dudit centre au centre de gravité du boomerang (22), la vitesse de rotation linéaire, ou circonférentielle, du centre de poussée est égale à . On peut la considérer comme pratiquement uniforme tout au long du vol.
     Mais, comme le boomerang avance en même temps qu'il tourne sur lui-même, la vitesse de rotation
du centre de poussée de chaque pale vient s'ajouter ou se retrancher, suivant qu'elle se trouve en secteur avançant ou en secteur reculant, à la vitesse de translation du centre de gravité du boomerang (23).
     Cependant, la somme vectorielle de ces deux vitesses ne correspond pas à leur somme algébrique. En effet, d'une part, les projections de ces vecteurs sur le cercle balayé forment entre elles un angle constamment variable car, si reste parallèle au plan de l'axe de roulis et de l'axe de rotation, change sans cesse d'orientation ; d'autre part, comme le vecteur forme un angle d'attaque i avec le plan du cercle balayé‚ dans lequel tourne le vecteur , le vecteur du centre de poussée de chaque pale a lui même une incidence par rapport au plan du cercle balayé, incidence elle aussi variable : inférieure à i dans le secteur avançant, elle lui est supérieure dans le secteur reculant. Ainsi, bien qu'elle "tourne le dos" au vent relatif, une pale en position basse subit tout de même une poussée (24), laquelle contribue à renforcer la portance générale du boomerang et à contrer l'effet de la pesanteur.
     En définitive, et pour être tout à fait précis, c'est la différence d'intensité des poussées s'exerçant au centre de poussée du secteur haut avançant et du secteur bas reculant de la couronne balayée, qui, multipliée par la distance moyenne du centre de poussée au centre de gravité, donne la valeur du moment de roulis générateur du moment de cabrage à l'origine de la cadence (25).
     Quand le boomerang n'a plus de mouvement de translation et qu'il descend à la verticale, le plan du cercle balayé, étant devenu horizontal, a une incidence égale à 90°. est alors perpendiculaire au plan en question, et 1'angle d'attaque de , résultante vectorielle de et au centre de poussée de chaque pale, se stabilise et devient constant, quelle que soit sa position sur la couronne balayée. Un nouveau phénomène se produit: l'autorotation.

      De quoi s'agit-il ? Pour certaines incidences positives d'éléments de pales au profil déterminé, les réactions de l'air qui ne s'écoule pas à la même vitesse au-dessus et au-dessous aboutissent à une résultante aérodynamique dirigée en avant de la perpendiculaire à l'axe du profil (26). La composante de cette résultante, parallèle à cet axe, est une petite force motrice f qui vient entretenir la vitesse de rotation de la pale. C'est cette force f qui engendre le phénomène d'autorotation.
     La vitesse circulaire se stabilise, tout comme la vitesse descensionnelle. Avec un boomerang au profil soigneusement étudié, on assiste alors à une magnifique fin de trajectoire : l'engin, parfaitement stable, descend lentement à la verticale,
à une vitesse de l'ordre de 0,50 rn à la seconde, tout en tournoyant rapidement sur lui-même (27).

     Maintenant que nous avons analysé les diverses phases et les différents phénomènes qui caractérisent le vol et le retour du boomerang, nous sommes mieux à même de comprendre ce qui se passe tout au long de sa course, celle-ci étant la synthèse de ce que nous avons vu :

     Lancé avec une grande vitesse de translation, selon une inclinaison et un angle vertical donnés, en rotation rapide sur lui-même, le boomerang s'élance dans les airs en suivant une trajectoire qui semble rectiligne, son inertie s'opposant à toute modification d'assiette. Cependant, dès le début du vol, la différence des poussées entre la partie haute et la partie basse du cercle balayé crée, par effet de précession gyroscopique, un moment de cabrage qui entraîne l'apparition d'un angle d'attaque. Celui-ci, bien que très faible, de l'ordre de quelques degrés, est néanmoins suffisant, compte tenu de la vitesse, pour engendrer une résultante aérodynamique, dont la composante verticale vient contrebalancer la pesanteur, tandis que la composante centripète incurve la trajectoire vers la gauche. Si une bonne inclinaison a été donnée au départ, la composante verticale compense exactement le poids du boomerang, de sorte que l'appareil maintient sa pente ascendante et se visse dans l'air en même temps qu'il amorce sa courbe.
     Sous l'action du moment cabreur, puissant en raison de la grande vitesse initiale, l'axe de roulis pivote vers la gauche, et la cadence s'adapte à la force centripète, en moyenne 45°/s. Mais il subsiste toujours un léger angle d'attaque entre le plan du cercle balayé et la tangente à la trajectoire. Du fait de cette incidence, le centre de poussée se trouve situé légèrement en avant du centre de gravité, et le mouvement de roulis qui en résulte, par effet de précession gyroscopique, entraîne un mouvement de coucher du boomerang, le lying down (28). De faible intensité au cours de la partie ascendante de la trajectoire, cette lente inclinaison se conjugue avec la réduction progressive de la vitesse, si bien que la composante verticale de FZ demeure égale à la pesanteur. En outre, comme la force centripète décline à mesure que la vitesse s'amenuise, le rayon de la trajectoire varie peu. La cadence elle-même n'est pas affectée par la décélération et reste adaptée à la courbe, car la différence entre les poussées latérales diminue en même temps que la vitesse.

      Ainsi, l'inclinaison, la force centripète et la cadence évoluent conjointement avec la vitesse pour maintenir à peu près constants jusqu'au sommet de la trajectoire la portance et le rayon.

  
    C'est alors que la pesanteur devient prépondérante, l'emportant sur la composante verticale de la portance. Une partie de l'énergie cinétique s'étant transformée en énergie potentielle, l'attraction gravitationnelle va jouer un rôle moteur. L'incidence croît dans des proportions notables et accentue le moment de cabrage; par voie de conséquence, l'inclinaison (le lying down) augmente aussi de façon importante, ce qui maintient une certaine valeur de la portance et ralentit la descente. Enfin, la vitesse de translation ayant beaucoup décru au fur et à mesure que s'intensifiait l'inclinaison, la force centripète est moindre, mais suffisante cependant pour entretenir la courbure de la trajectoire jusqu'à ce qu'apparaisse l'autorotation stabilisatrice.
      Nous sommes maintenant en fin de parcours: l'inclinaison est à 90° ; la vitesse de translation est devenue nulle ; le phénomène d'autorotation bat son plein. Le boomerang, stabilisé, descend lentement à la verticale jusqu'au sol ou entre les mains du lanceur (photo ci-contre).
      Cette trajectoire type peut être modifiée. Il est possible, par exemple, d'étirer la courbe et de lui donner une forme elliptique. C'est ce que l'on recherche avec les boomerangs spécialement conçus pour la longue portée. Pour obtenir ce résultat, il faut agir sur le moment d'nertie, réduire le rayon du cercle balayé tout en conservant suffisamment de surface en plan pour assurer une bonne sustentation.

     A présent que nous connaissons l'ensemble des forces en action dans le vol du boomerang, nous pouvons mieux mesurer la complexité des problèmes à résoudre pour parvenir à un équilibre idéal et admirer encore davantage l'ingéniosité et la dextérité des lointains inventeurs du "bâton qui revient". Aujourd'hui, un bon boomerang doit répondre aux prescriptions suivantes :

 

Boomerangs de sport : Poids généralement supérieur à 100 g. Portée minimale : 25-30 m. Portée maximale homologuée : 113 m avant retour au lanceur. En bois contreplaqué ou contrecollé, mais des résines synthétiques telles que le nylon ou l'ABS ont permis récemment de mettre sur le marché des modèles remarquablement performants. Envergure : 25 à 80 cm. Vitesse initiale : 90 km/h. Vitesse de rotation : 10 tours/s. A ne pas mettre entre toutes les mains.

     

Boomerangs de jeu : Poids généralement inférieur à 100 g et il en est même, en bois de balsa qui ne pèsent pas plus de 10 g. Portée minimale : 5-20 m. Fabriqués en bois, leur faible épaisseur ne permettant pas d'obtenir une bonne précision avec des matériaux synthétiques. Envergure : 7 à 40 cm. Leur fabrication demande cependant le même souci d'équilibre et de finition pour obtenir une précision acceptable. Plus légers et plus sensibles au vent, ils sont toutefois moins précis que les modèles de sport.

Jacques THOMAS, 1982

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